Nouvelles de Flandre
La Flandre ne peut plus ignorer sa minorité francophone

Pour la énième fois le monde politique se prépare à des négociations difficiles sur une nouvelle (et définitive ?) réforme de l'Etat.

Les négociateurs flamands ont déjà fait connaître leurs innombrables revendications. A commencer par la scission de l'arrondissement Bruxelles-Hal-Vilvorde (BHV), ce qui priverait les francophones de la périphérie de Bruxelles de leurs droits les plus élémentaires, la régionalisation de tout ce qui intéresse la Flandre, laissant au pouvoir fédéral les dossiers à problèmes.

Les Flamands n'ont jamais fort bien compris qu'une négociation suppose des concessions de part et d'autre. Dans chaque gouvernement, ils occupent le poste de Premier ministre et les postes clé. Il ne nous semble pas déraisonnable de prévoir pour l'avenir une disposition particulière pour ce poste. En admettant qu'il y ait dans le pays 60% de Flamands et 40% de francophones, il devrait y avoir, sur cinq législatures, deux fois un Premier ministre francophone et trois fois un Premier ministre flamand.

Les Flamands disposent à Bruxelles d'une sur-représentation indue. Ils veulent tout partout! Certains rêvent même d'une Flandre autonome gardant Bruxelles comme capitale! Une position totalement irréaliste quand on sait qu'il y a, à Bruxelles, une majorité écrasante de francophones.

Il est plus que temps de jouer franc jeu et de prendre des décisions dans la clarté que suppose la démocratie véritable. Il n'est pas normal que plus de 300.000 francophones vivant en Flandre n'aient qu'un seul député au Parlement flamand, un député qui ne représente d'ailleurs que les francophones du Brabant flamand, alors que les néerlandophones de Bruxelles - sont-ils 100.000? - ont droit à 17 représentants au Parlement bruxellois. Pour ces 17 élus, il a suffi de 51.811 voix, alors qu'il a fallu 47.319 voix pour voir siéger un député francophone en Flandre.

Une situation aussi anormale qu'illégitime n'existe qu'en raison de la suppression du recensement linguistique exigé par les Flamands au début des années 60 pour que n'apparaissent pas au grand jour des majorités francophones dans des communes de la périphérie de Bruxelles et l'importance de la minorité francophone dans la Flandre proprement dite.

Recensement légal

Il est plus que temps de rétablir le recensement linguistique. Il est l'équivalent de la radiographie en médecine. Quel médecin sérieux n'aurait pas recours à ce moyen révélant l'état du patient pour établir un diagnostic en connaissance de cause? D'ailleurs, à défaut de recensement, il existe des moyens de révéler la réalité d'une manière fiable: le fichier des immatriculations de véhicules, par exemple. Chacun peut en effet demander sa carte grise dans la langue de son choix. Les hommes politiques flamands y ont sûrement accès. S'ils restent muets, c'est que les chiffres ne leur sont pas favorables...

Et c'est ce qui explique certaines réactions de dépit exacerbées: le Wooncode (le code du logement flamand qui impose l'apprentissage du néerlandais), l'interdiction sur un marché de faire usage d'une autre langue que le néerlandais sous peine d'exclusion, l'enlèvement des panneaux électoraux empêchant l'affichage des partis francophones. Une série d'actions dignes d'un régime politique totalitaire, qui ont ému les autorités européennes au point qu'elles ont décidé de suivre de près ces dérapages flamands. Quelle magnifique publicité pour la Flandre à l'étranger! Tout cela parce qu'elle veut nier la réalité de la présence francophone en Flandre, à la fois dans la périphérie bruxelloise et le nord du pays. Des francophones qui pourtant n'ont aucune intention de remettre en cause le principe de l'unilinguisme de la région flamande, mais qui veulent faire respecter leurs droits.

Pour notre part, à l'occasion de notre dixième anniversaire, nous avons commandé un sondage linguistique à "Dedicated Research" (voir page 7). S'ils devaient contester les résultats de ce sondage, il ne resterait plus aux politiciens flamands qu'à demander le rétablissement du recensement officiel, sous peine de perdre toute crédibilité.

Deux attitudes opposées

Ceci dit, les futures négociations s'annoncent très difficiles. Certes, aux dernières élections législatives le parti nationaliste d'extrême-droite "Vlaams Belang" a perdu 11 sièges. Mais la représentation nationaliste n'en est pas pour autant affaiblie. Un autre parti agressivement hostile aux francophones, la "N-VA" a remporté 16 sièges, doublant sa représentation. Le chef de ce parti, Bart De Wever est connu pour ses positions intransigeantes, voire inflexibles en matière communautaire. C'est l'homme qui estime que les francophones qui s'installent en Flandre, doivent être considérés comme des immigrés... Immigrés dans leur propre pays ? Bart De Wever est d'autant plus redoutable qu'il a un esprit de répartie rapide, qu'il a des qualités de contradicteur exceptionnelles et que ses raisonnements sont structurés avec logique. Et, comme toujours, les autres partis emboîtent le pas, craignant de perdre des voix aux prochaines élections s'ils se montrent moins durs ou moins obtus que les leaders de la "N-VA".

A cette attitude d'hostilité obsessionnelle à l'égard des francophones dans le nord du pays, nous nous permettrons de relever quelques éléments révélateurs d'un état d'esprit nettement plus ouvert dans le sud du pays.

La plupart des ministres francophones s'expriment aujourd'hui correctement en néerlandais et les francophones en général font un réel effort d'apprentissage de la langue de Vondel. Les touristes francophones sont d'ailleurs de plus en plus nombreux à s'exprimer en néerlandais dans les magasins et les restaurants. De plus en plus de wallons et de francophones bruxellois vont travailler en Flandre. L'Office flamand pour l'emploi (Vlaamse Dienst voor Arbeidsbemiddeling) a fait savoir qu'en un an, 3.500 travailleurs du sud ont été dirigés vers un emploi vacant en Flandre. En Wallonie, le ministre président, Rudy Demotte a fait en sorte que les Flamands soient accueillis dans leur langue. Il a organisé des échanges culturels avec ses voisins de Flandre. Nous avons, nous-mêmes, ici, plaidé continuellement pour que les membres des trois communautés, qu'ils soient Flamands, francophones ou germanophones, puissent vivre en toute quiétude dans chaque région du pays.

Communication moderne

L'informatique facilite grandement les choses. En matière fiscale, la déclaration en ligne, via Tax-on-web, par exemple. Le contribuable utilise une des trois langues nationales pour préparer son document à l'écran. Au moment d'envoyer sa déclaration aux services compétents, son document est automatiquement traduit dans la langue officielle de sa région. Plus de problèmes linguistiques! Grâce à la technologie moderne, notre but est atteint: nos concitoyens des trois communautés peuvent s'exprimer librement partout dans le pays, être compris et recevoir réponse dans leur langue. On admettra que c'est une vision d'avenir qui s'oppose aux sempiternels griefs nationalistes flamands. Se référer à 1932, lorsque les francophones ont refusé de généraliser le bilinguisme à l'ensemble du territoire, pour entretenir le ressentiment envers les francophones d'aujourd'hui est aussi peu raisonnable que considérer les Allemands de 2009 comme responsables des méfaits commis par leurs parents ou grand-parents il y a une soixantaine d'années.

Il est évident qu'on ne peut avoir de bonnes relations durables que si l'on fait de mutuelles concessions avec bonne volonté. L'objectif d'une vraie réforme de l'Etat ne peut être un bricolage dans l'intention de faire que la Belgique tienne le coup quelques années de plus.

Ou les hommes politiques sont capables de bien mesurer la réalité et de conclure un accord satisfaisant pour les deux parties, ou il vaut mieux se séparer définitivement. L'art des hommes d'Etat - mais existent-ils encore? - est de signer un accord où il n'y a ni vainqueur ni vaincu!

Une Flandre hors d'Europe?

Les Flamands irréductibles doivent comprendre clairement une chose : il faudra que la Flandre reconnaisse sa minorité francophone. Maintenant ou plus tard. Le Conseil de l'Europe a reconnu l'existence de cette minorité. La Flandre ne pourra pas tirer indéfiniment sur l'élastique. Il faudra bien qu'un jour elle ratifie la Convention-cadre pour la protection des minorités. Et si certains comptent sur l'indépendance pour faire à leur guise, ils en seront pour leurs frais. Car la reconnaissance des minorités est une condition d'adhésion à l'Europe. A moins, bien entendu que la Flandre se sépare aussi de l'Europe? Ce qui est bien dans la logique du nationalisme.

A cette position politique sans issue, nous préférons la voie largement ouverte sur un avenir commun pacifique et productif de richesses. Notamment culturelles. Et, sur ce point précis, les Flamands tout à coup accueillent des francophones à bras ouverts. Il est vrai qu'il s'agit d'artistes prestigieux comme Emile Verhaeren, poète flamand qui écrivit en français, les cinéastes Henri Storck et Raoul Servais ou James Ensor, dont un grande rétrospective a été présentée au Musée d'Art moderne de New York cet été, avant le Musée d'Orsay à Paris à partir du 21 octobre.

Voilà des francophones qui font honneur à la Flandre! Et voilà qui prouve que, dans certaines circonstances au moins, les francophones sont bienvenus en Flandre. L'ostracisme n'est plus pratiqué d'une manière absolue. Il y a donc de l'espoir de voir la Flandre passer enfin avec la Communauté française un accord culturel qu'elle a signé depuis belle lurette avec une série de pays francophones, France en tête ? A cet égard nous sommes demandeurs depuis toujours, nous, francophones habitant en Flandre. Ce serait un beau cadeau à nous faire pour notre dixième anniversaire…

Ter vriendelijke attentie van Joke Schauvliege, Vlaamse Minister van Cultuur (à l'aimable attention de Joke Schauvliege, Ministre flamande de la Culture)!

Marcel BAUWENS


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