Nouvelles de Flandre
Monique Lanoye, un des "piliers" francophones du littoral

Le long du littoral et plus particulièrement à Ostende, on a toujours compté un nombre important de francophones. Aujourd'hui encore, pas mal de Bruxellois ou de Wallons viennent s'y installer, une fois leur vie professionnelle terminée. Depuis toujours aussi, des familles francophones sont implantées dans la région. Nous avons rencontré Monique Lanoye, une francophone "pure souche".

A.F.C.: Vous êtes une des figures importantes de la francophonie à Ostende. Vous avez été la principale cheville ouvrière du "Courrier du Littoral", le journal créé par votre père.

M.L.: Mon père était un fervent défenseur de la langue française. Il a d'ailleurs reçu la Légion d'Honneur. En fait, il a passé son enfance en France. Vers 3 ans, juste avant la première guerre mondiale, il est parti vivre à Nice avec ses parents. Il est revenu en Belgique pour faire son service militaire. Entre les deux guerres, il existait sept journaux en français sur la côte mais peu à peu, ils ont disparu. C'est pour cette raison que mon père lance, en 45, "La Flandre" qui devient, quelques mois plus tard , "Le Courrier du littoral et de la Flandre". C'est en 47, qu'il opte définitivement pour "Le Courrier du littoral". Au départ, il fait imprimer le journal à Bruges, puis il finit par acheter une imprimerie dans le centre d'Ostende. C'est un hebdomadaire qui va "faire des petits". En 53, "Le Courrier de Bruges" et "Le Courrier du Zwin" sont créés, puis en 75, "Le Courrier de Gand". A ce moment là déjà, on ne recevait aucune subvention ou aide à la presse comme les autres journaux. Personne ne voulait intervenir, ni la Communauté flamande ni la Communauté française. Heureusement, on pouvait compter sur la collaboration bénévole de pas mal de journalistes indépendants de renom comme Luc Beyer de Ryke ou Michel de Ghelderode et de nombreux autres.

A.F.C.: Malheureusement, l'aventure doit s'arrêter?

M.L. : Oui en mars 1994, mon père vivait toujours. Mais il s'était retiré depuis plusieurs années. C'est moi qui gérais le journal et l'imprimerie et cela devenait très difficile de poursuivre car il fallait absolument se moderniser. On utilisait toujours le plomb. Quand un ouvrier linotypiste arrivait à l'âge de la retraite, on n'avait personne pour le remplacer. Il était impossible de trouver des gens capables de taper en français et d'utiliser encore ces vieilles machines. L'offset avait pris la relève.

A.F.C.: Et personne n'avait envie d'investir pour créer une imprimerie moderne?

M.L. : On a eu des contacts avec plusieurs journaux comme "Nord Eclair" ou "Le Soir" mais sans succès car les investissements financiers étaient trop importants, surtout par rapport au nombre de lecteurs qui étaient encore susceptibles d'acheter un journal en français dans la région. Finalement, on a dû se résoudre à arrêter le 25 mars 1994, date du dernier numéro du "Courrier du littoral" et du "Courrier de Gand". A Gand, Nicole Verschoore, une ancienne journaliste du "Laatste Nieuws" a continué en créant "Le Nouveau Courrier" mais il a aussi fini par s'arrêter le 30 décembre 1999. Ici à Ostende, quand nous avons fermé en 1994, ce fut bien entendu douloureux pour nous tous. Mais cela a été un véritable événement notamment parce qu'on fermait une des dernières imprimeries fonctionnant au plomb. On a eu la visite de sept chaines de télévision: du Canada, du Japon, etc.

A.F.C.: Votre père et vous étiez très actifs au niveau du journal mais aussi au niveau de la défense de la langue française. Vous êtes une famille purement francophone?

M.L.: Tout à fait, aussi bien du côté de mon père que de ma mère. On a toujours parlé le français à la maison. J'ai appris le flamand à l'école primaire. Mais j'ai fait la fin de mes études secondaires en français, au "Sacré Cœur" à Mariakerke. Je parle donc les deux langues et même le patois. Mais je suis cataloguée comme francophone. Lors de réceptions par exemple, je suis toujours étonnée de voir qu'on s'adresse à moi, systématiquement, en français, même des néerlandophones. Parce que pour eux, c'est normal. Ils ont toujours considéré notre famille comme francophone.

A.F.C.: Cela ne vous a jamais posé de problème?

M.L. : Non presque jamais. Et lorsque quelqu'un me fait une remarque, je lui réponds directement en patois. Il ne trouve rien à redire. Au journal, par contre, on a régulièrement reçu des lettres de menace. Pas beaucoup, 3 ou 4 par an, mais c'était régulier. On ne les lisait même plus. Un jour cependant, dans les années 70, la police nous a averti que le T.A.K. allait débarquer à Ostende. Les ouvriers ont dû barricader la porte et les fenêtres de l'imprimerie. Heureusement ils ne sont pas venus. Mais, les extrémistes nous ont causé beaucoup de torts en allant menacer nos clients de représailles. On a perdu beaucoup d'annonceurs à cause de ces intimidations. Une autre anecdote, dans "Le Courrier du Littoral", on écrivait des articles sur Ostende. Notre meilleur "informateur" si l'on peut dire, c'était un Ostendais membre de la Volksunie qui parlait un français impeccable et nous fournissait des informations ponctuelles et précises. Souvent, les gens se demandaient comme on connaissait tout cela.

A.F.C.: La fin du Courrier n'a pas signifié pour vous la fin des activités en français?

M.L. : Non, j'ai toujours voulu avoir des activités culturelles en français. Dans les années 90, avec quelques jeunes francophones d'Ostende, nous avons créé une petite association, le "Cercle francophone d'Ostende". Peu à peu, le groupe a grandi et on a préféré adhérer à une organisation existante. L'un de nous connaissait le "Richelieu international", un service-club en français à caractère exclusivement culturel. C'est ainsi qu'on a, en 1997, mis sur pied le premier club en Flandre. J'ai d'ailleurs occupé le poste de présidente pendant plusieurs années. J'y suis toujours très active. Nous sommes maintenant près de 40 membres à Ostende et nous sommes en contact très proche avec le club qui s'est créé, il y a quelques années, à Knokke et dont nous sommes le parrain.

A.F.C.: A part le Richelieu, il y a encore d'autres organisations francophones à Ostende?

M.L. : Non, avant il y avait un club "Rotary" et un "Lion's" en français mais on y parle maintenant le néerlandais. Il y a de moins en moins de francophones de souche à Ostende mais heureusement nous avons de nombreux résidents venant de l'intérieur du pays. Les familles francophones d'Ostende disparaissent peu à peu. La jeune génération, si elle étudie en français, préfère faire sa vie à Bruxelles où les opportunités professionnelles sont plus étendues. Ce n'est pas différent ici de Gand ou Courtrai, sauf qu'à la côte on aura sans doute toujours des personnes "aangewaaid (poussées par le vent)", comme on dit ici, qui continueront à faire vivre le français dans la région.

Propos recueillis par Anne-Françoise COUNET


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