Nouvelles de Flandre
Rencontre avec Luc Beyer de Ryke, figure emblématique des Francophones de Flandre

Auteur de nombreux ouvrages sur la Belgique et la Flandre en particulier, Luc Beyer a toujours revendiqué son statut à la fois de francophone et de Flamand. Nos lecteurs ont encore dans l'oreille son fameux: "Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, bonsoir!" ouvrant quotidiennement le JT de la RTB. Il nous a reçu dans sa maison de Latem pour retracer quelques étapes importantes de sa vie et nous faire part de ses sentiments face à la situation actuelle de notre pays. Un entretien convivial et chaleureux.

N.d.F.: Vous êtes un francophone de Flandre, c'est dû au cadre familial dans lequel vous avez grandi?

L.B.: Je suis né à Gand. Ma mère était une Reychler, une famille de magistrats. Mon père, Jean Beyer, était un brillant chirurgien. Il est malheureusement décédé alors que je n'avais que 3 ans. Son père était aussi médecin. Il a fondé le service d'urologie à Gand mais, comme on aurait pu s'y attendre, il n'est pas devenu professeur d'université car il était francophone…
Outre le décès de mon père, j'ai vécu un autre épisode douloureux : la perte de ma petite soeur au début de la guerre. En mai 40, ma famille a fui vers la France, à bord de deux voitures. Ma mère, ma sœur âgée de 18 mois et des amis dans une voiture. Mes grands-parents, la vieille servante et moi dans l'autre. Nous nous sommes perdus dans la cohue de l'exode. Quand, plus tard, nous nous sommes retrouvés en Belgique, ma mère est rentrée seule. Ma sœur était décédée lors d'une attaque de stuka dans le nord de la France. Elle y est d'ailleurs enterrée avec une série d'autres réfugiés belges.
Plus tard, ma mère s'est remariée avec René de Ryke, un avocat gantois qui enseignait le droit à l'ULB. Il m'a adopté et légitimé. C'est pour cela que je porte deux noms.
Remarquez qu'à la télévision, je m'appelais Beyer parce que le directeur de l'information ne voulait pas que le journal soit présenté par des journalistes portant des noms "à rallonge". C'est pour cette raison également que certains journalistes ont dû changer leur patronyme à consonance jugée trop flamande pour un autre plus francophone. René Thierry ou Roger Clermont sont des noms d'emprunt.

N.d.F.: Vous viviez dans un environnement familial francophone. Et au niveau de votre scolarité?

L.B.: J'ai fait l'école maternelle et primaire en français. Plus tard, j'ai intégré ce qu'on appelait à l'époque une classe de "transmutation". Il s'agissait de cours qui préparaient les petits francophones à intégrer l'enseignement flamand. J'ai donc fait une année en flamand à l'Athénée, année que d'ailleurs j'ai redoublée. Année qui me laisse d'âpres souvenirs et que j'évoque dans mon livre "les Lys de Flandre". Je raconte comment petits Flamands et Francophones transformaient quelquefois la cour de récréation en champ de bataille et rejouaient, à leur manière, l'épisode des Eperons d'or. Après cette parenthèse, je suis allé à l'institut de Gand pour terminer l'école secondaire en français. J'y ai reçu une excellente formation notamment littéraire qui a tout naturellement éveillé mon intérêt et m'a dirigé vers des études universitaires. Mon père étant professeur à l'ULB, je suis parti à Bruxelles pour étudier les Sciences politiques.

N.d.F.: Et votre intérêt pour le journalisme?

L.B. : Déjà à l'âge de 15 ou 16 ans, j'écrivais des articles dans la "Flandre libérale". J'ai d'ailleurs couvert le festival du cinéma à Knokke. C'est ainsi que j'ai rencontré Gérard Philippe et bien d'autres. J'ai même emmené Juliette Gréco chez mes parents. Après les Sciences Politiques, j'ai ajouté une licence en journalisme. A cette époque, aussi, je rédigeais de grands articles politiques dans le journal de Charleroi.

N.d.F.: Comment êtes-vous entré à la RTB?

L.B.: C'est un épisode qui se raconte en quelques secondes. Cela fait rêver les jeunes journalistes d'aujourd'hui. Quelques mois après l'obtention de mon diplôme, un de mes professeurs m'avait averti du fait qu'on cherchait des commentateurs à la télévision. J'ai téléphoné au rédacteur en chef, Paul Demol. Il m'a dit que ma voix était bonne et il m'a invité à venir voir comment ça se passait. C'était un dimanche, au printemps 1961. Le lundi j'étais à l'antenne. Quelques mois plus tard, je présentais le JT. J'ai ensuite obligatoirement passé l'examen officiel. Nous étions seulement cinq parmi mille candidats à réussir.
Après un stage obligatoire à la radio, on m'a envoyé à Londres pour rendre compte de la maladie de Winston Churchill. J'ai ensuite couvert ses funérailles pour le journal télévisé. Un pool des télévisions francophones avait été formé. Chacun avait, sur le parcours, un poste fixe qui lui était attribué. Moi, c'était au pied de la tour de Londres, et j'étais avec un con-frère… Jean-Pierre Elkabbach.
En tout, je suis resté près de vingt ans à l'antenne. Je détiens d'ailleurs le record de longévité en Europe, avec Patrick Poivre d'Arvor et Claire Chazal.

N.d.F.: Parallèlement à cette carrière médiatique, vous avez aussi fait de la politique?

L.B.: En effet, j'ai été pendant quatre ans Conseiller à la province de Flandre occidentale. J'ai dû abandonner ce mandat car une loi interdisait de cumuler cette fonction avec un emploi à la RTB. Le choix entre les deux a été vite fait …
Ensuite, je me suis présenté aux élections communales à Gand. J'ai remporté un succès de plus en plus important et j'ai été élu à trois reprises. J'arrivais en cinquième ou sixième place. Je battais les députés de la Volksunie. A cette époque, il faut souligner que sept des dix sièges libéraux étaient occupés par des francophones.
J'ai ensuite démissionné pour me présenter aux élections européennes parce qu'on ne pouvait pas se présenter sur les listes francophones si on habitait en Flandre. Déjà à ce moment là, une circonscription fédérale avait été refusée. Il s'agissait d'un refus francophone… J'ai ensuite siégé à Strasbourg pendant dix ans. Cela s'est, malheureusement, très mal terminé. Ma carrière politique a été brisée par Jean Gol. En fait, j'ai effectué une mission en Palestine. A mon retour, j'ai rendu compte devant le Parlement européen de la répression israélienne envers les Palestiniens. Ce rapport a fait grand bruit. Le Parlement européen a demandé à Israël de permettre à l'Europe de commercer avec les Palestiniens. Jean Gol n'a pas du tout apprécié cette prise de position qui ne convenait pas à l'électorat juif. J'ai été relégué à une place de suppléant puis banni du parti libéral. Ce fut la fin de ma carrière politique. Un moment très difficile…

N.d.F.: Et depuis, quelles sont vos activités?

L.B.: Je suis devenu correspondant de guerre. J'ai, à de nombreuses reprises, été nommé par le ministre des Affaires étrangères, observateur dans divers pays tels que le Monténégro, le Congo ou la Palestine. Je donne de nombreuses conférences. J'écris des livres aussi. J'ai publié une dizaine d'ouvrages dont la plupart sur la Belgique et les Francophones de Flandre mais aussi sur le Proche-Orient où je me rends très régulièrement. Je partage ma vie entre la Belgique, ma maison de Latem Saint Martin, Uccle dont je suis Conseiller communal depuis vingt ans et Paris où réside ma compagne Françoise Germain-Robin, reporter à L'Humanité.

N.d.F.: Après toutes ces années de décryptage et d'analyse de la vie politique internationale et belge en particulier, quel regard portez-vous sur la Belgique d'aujourd'hui?

L.B.: Il y a, dans notre pays, à la fois une impossibilité à vivre ensemble et une impossibilité à se séparer. Je suis résolument monarchiste car sans la monarchie, il n'y a plus de Belgique. Et je ne suis pas optimiste. On me l'a souvent reproché mais on me le reproche de moins en moins. La situation actuelle n'est pas neuve. A chaque crise, on franchit un nouveau palier. Et il n'y a jamais de retour de balancier. Quand on fait un pas, c'est toujours pour plus de distanciation. Lors des prochaines élections communales en 2012, la N-VA va déferler dans les communes flamandes, cela va faire mal au CD&V qui est déjà en chute libre. Quand Alexander de Croo a débranché la prise en faisant sauter le gouvernement en avril 2010, il a aussi affaibli son parti… Nous avons, réellement, une épée de Damoclès au-dessus de nos têtes.

N.d.F.: Et à long terme?

L.B.: Bart De Wever est clair: il veut la séparation de la Belgique. Il veut que le pays disparaisse sans qu'on ne s'en aperçoive. Il ne faut pas perdre de vue que l'histoire du mouvement flamand s'inscrit aussi dans un mouvement plus large: celui de l'Europe des Régions. La Catalogne, l'Italie du Nord avec la Ligue du Nord, le pays Basque et d'autres régions veulent devenir des Nations. C'est un nationalisme intolérant qui ne veut pas de solidarité.
Si la Belgique disparaît, la Flandre sera capable de s'en sortir seule. Elle possède des atouts économiques et démographiques que d'autres petits pays comme la Norvège ou le Danemark n'ont pas. Du côté francophone, c'est beaucoup plus aléatoire car il n'y a pas d'unité.

N.d.F.: Dans cette perspective, quel avenir pour les francophones de Flandre?

L.B.: Ma réponse est encore plus pessimiste: notre sort n'est pas à régler, il est réglé depuis 1963 puisque on n'a plus la possibilité légale de se compter. Il y a malgré tout un aspect positif. Les Flamands commencent à considérer les écrivains francophones de Flandre comme leur patrimoine littéraire parce qu'ils ne voient plus les francophones comme une menace. Dans la vie quotidienne, cependant, c'est bien différent…

N.d.F.: Et la langue et la culture françaises

L.B.: Depuis longtemps, il n'y a plus vraiment de journaux, de librairies, d'écoles en français. Il ne subsiste que quelques cercles et associations mais cela se réduit comme une peau de chagrin. Le nombre de locuteurs diminue puisque le français n'est plus une langue d'enseignement. Le processus me paraît irréversible. Ce qui ne m'empêche pas de croire avec le Téméraire qu'il n'est pas nécessaire d'espérer pour entreprendre...

 

Propos recueillis par Anne-Françoise COUNET

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